couverture de Malaisie
190 x 125 mm — 296 pages — 20
ISBN : 978-2-87868-224-3

> Prix Goncourt 1930

Au sortir de la Première Guerre mondiale, Lescale s’embarque pour la Malaisie et ses exploitations de caoutchouc, alors en plein essor. Il y retrouve Rolain, un compagnon de tranchée qui gère une plantation au cœur de la jungle. Lescale s’installe dans cet environnement et y découvre la vie solitaire de planteur, rythmée par le travail, les cycles naturels et aussi les rapports si particuliers avec les coolies tamils et malais.
Son immersion se fait plus profonde à mesure qu’il appréhende à la fois le milieu et les hommes qui le peuplent. Passé l’enchantement et l’exotisme des tropiques, Lescale est peu à peu happé par la Malaisie, ce pays fascinant qui n’est autre que le personnage principal de l’ouvrage.
Henri Fauconnier se fonde sur sa propre expérience de planteur pour dresser un portrait intime de la Malaisie dans lequel il révèle, tant au lecteur qu’à lui-même, sa passion pour un pays auquel il n’était pas destiné, et qui l’habitera toute son existence.

 

Extrait
J’ignorais la splendeur de la jungle des montagnes, avec son sol roux parsemé de mousses, de fougères aux ardents reflets bleus, ses fûts blancs et lisses, ou bruns et rugueux, qui s’élan­cent à cinquante mètres tout droit, sans une branche. Cette jungle vit, respire, ronronne. On la sent pénétrée d’un bonheur trop profond pour n’être pas semblable à l’indifférence.
Elle m’accueillait comme une fourmi, elle m’absorbait comme une goutte de pluie. J’étais en elle et je la sentais inaccessible, je la contemplais sans la comprendre. Au-delà de l’étroit cercle d’arbres qui limitait ma vision commençait le domaine immense du mystère, et même autour de moi, dans le jeu des ombres et des coulées de soleil, dans le froissement de palmes et le battement de feuilles que nul vent ne touche, dans une sorte d’agitation sourde aussi subtile que la circulation du sang sous la peau, je découvrais des mirages plus troublants que ceux du désert et sentais le frôlement de puissances inconnues.

Henri Fauconnier

Henri Fauconnier est né à Barbezieux (en Charente) le 26 février 1879 et mort à Paris le 14 avril 1973. Il est connu principalement pour son roman Malaisie, qui lui valut le prix Goncourt en 1930. Il est également l’auteur de Visions, un recueil de nouvelles, et de quelques tableaux et morceaux de musique. Il fait partie du groupe de Barbezieux.

La presse en parle

« Malaisie éveille, enchante, entraîne les sens du lecteur dans un univers dont les lois réelles, substantielles, profondes, ne cessent de nous échapper. »
Jacques Lacarrière

« J’avais beaucoup aimé Malaisie – admiré de la seule admi­ration dont je sois capable. Je l’avais aimé. »
Georges Bernanos

« C’est à mon avis le meilleur Goncourt depuis sa fondation. En tout cas c’est celui qui m’a le plus fraternellement ému, le seul peut-être que j’eusse vraiment aimé écrire. C’est un grand et très beau livre. »
Maurice Maeterlinck

Les Éditions du Pacifique ont fait rééditer Malaisie de Henri Fauconnier, avec des gravures de Charles Fauconnier et les notes prises par l’auteur pour un deuxième tome, jamais achevé. Le livre, initialement publié en 1930 aux éditions Stock, avait été couronné par le prix Goncourt l’année de sa parution. Henri Fauconnier [1879-1973] avait été planteur en Malaisie où il s’était installé à partir de 1905 et avait fait fortune. Soldat pendant la Première Guerre Mondiale en France, il était retourné dans ce pays pour écrire ce texte, inspiré de sa vie, qui fut son chef d’œuvre et son unique roman publié.
Lescale avait rencontré Rolain dans les tranchées de la Première Guerre Mondiale. Entre deux assauts, dans le silence trop évident après l’éclat des obus, celui-ci lui avait parlé de la Malaisie. Lescale y débarque au début des années 1920, avec pour but de retrouver cet ancien compagnon d’infortune qui n’a répondu à aucune de ses nombreuses lettres. Trois ans déjà ont passé et toujours aucun signe de vie. Rolain serait-il mort ? Perdu dans les jungles de ce pays ? Lescale s’est fait embaucher comme chef d’une plantation d’hévéas chez Potter, colon anglais dévoyé qui a le coup de trique facile envers les coolies. Puis, un jour, au Club des Planteurs, voici Rolain qui réapparaît. Lescale se précipite à sa rencontre. Et bientôt, le suivra dans la jungle pour qu’il lui fasse découvrir l’âme de ce pays.
Malaisie d'Henri Fauconnier est un livre au souffle surprenant. Adoubé par la critique de l’époque [les citations de Georges Bernanos et Maurice Maeterlinck sur la quatrième de couverture en attestent], c’est une fiction qui appartient à son époque : celle des empires coloniaux et du romantisme de la « conquête » du monde, jusqu’à en perdre la raison. En ce sens, le duo de personnages mis en scène par l’auteur – le jeune qui a encore tant à découvrir et le vieux qui en a trop vu -, rappelle le motif déjà proposé par Joseph Conrad. Lescale et Rolain sont, dans une certaine mesure, un Marlow et un Kurtz, devenus Français et transposés sous d’autres latitudes. Dans leur bungalow, à la contemplation des rangées infinies de ces arbres qui saignent, il y a quelque chose qui fait le siège de leur âme, comme l’horreur qui se cache à la remontée du fleuve Congo dans Au Cœur des Ténèbres.
Le style est travaillé et certaines pages sont d’un lyrisme puissant. Ainsi, l’on remonte ici aussi un fleuve en barque, au milieu du livre (pp. 112-113) : « Je voudrais ignorer quel est ce fleuve. Jadis je disais un Orénoque, un Irrawaddy. Maintenant, la résonance merveilleuses de ces noms me semble factice. Il me faut un fleuve sans nom, dans un pays sans limites. […] Je ne me lasse pas de regarder dans une hébétude heureuse les courants qui s’étirent, les remous de la surface, les petits tourbillons hallucinants. Notre barque flotte, entraînée avec d’étranges débris de la jungle dans un grand mouvement uniforme. Le soleil tourne autour de nous. Les rives s’en vont doucement, toujours nouvelles et toujours pareilles. Dans les courbes on s’en rapproche pour suivre le cours le plus rapide des eaux. Alors une voûte de forêt vierge déborde sur le ciel avec ses lianes retombantes où pendent de gros fruits rouges. Des singes surpris nous regardent passer sans bouger, puis un émoi soudain les disperse dans les branches. Un martin-pêcheur d’un bleu électrique rase la berge obscure. »
Fauconnier soigne ses effets et fait passer le André Malraux de La Voie Royale pour un amateur. Il ne se contente pas, contrairement à beaucoup de romanciers de son époque, d’un exotisme à peu de frais, avec quelques éléments de décor pour faire voyager son lecteur. Non, il tente de retranscrire la manière dont l’âme de la Malaisie [c’est d’ailleurs le titre de la version anglaise, The Soul of Malaya] opère sur les deux aventuriers. Ils enlèvent le casque colonial et se baignent nus dans une mer turquoise. Soudain, leurs corps paraissent fragiles. Sous les tropiques, c’est du poids de la civilisation occidentale dont on se déleste. On glisse alors délicieusement vers une folie meurtrière qui, dans cette région-là du monde, s’appelle Amok et que Stefan Zweig avait lui aussi décrite.
Un autre intérêt du texte réside dans sa dimension documentaire, voire ethnographique. Bien sûr, l’histoire se déroule dans le contexte colonial, la Malaisie étant une colonie britannique depuis la fin du dix-neuvième siècle. Il y a une violence et une domination dans la relation entre les Européens et les indigènes (qui ne sont pas tous malais, mais aussi tamils et chinois) qu’une lecture dans la veine des études postcoloniales ne manquerait pas de souligner. Contrairement à Pierre Boulle dans son Sacrilège Malais, livre plus tardif, l’auteur ne dénonce pas le système des plantations. Néanmoins Lescale, son personnage principal, qui n’était pas en reste au début du livre, oublie peu à peu ses préjugés pour s’intéresser à la culture des hommes et des femmes qu’il côtoie désormais. Il commence à comprendre la langue et ses métaphores. Et Fauconnier de traduire (magnifiquement) les pantouns, cette poésie orale, ces proverbes en image, si importants dans la culture populaire de tous les pays de langue malaise (Malaisie, Singapour, Indonésie, Brunei).
Une scène d’exorcisme à couper le souffle, et voilà que le drame est noué. Dans toute l’Asie, les esprits rôdent. Ils s’emparent sans prévenir de l’âme des vivants. Lescale et Rolain n’en sortiront pas indemnes. Tout comme le lecteur, qui reste captivé, longtemps après avoir refermé le livre, par la vision du royaume qu’avait su bâtir Henri Fauconnier.
Louis Raymond, Les Cahier du Nem

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